UN BEAU MÉTIER
L'éveilleur de mémoire
Cette fonction peut paraître bien ambitieuse:
c'est pourtant, me semble-t-il, la seule
qui reste au peintre après que les
progrès de la technologie l’ont dépossédé du
monopole de l'image. Ça tombe
bien, intimement j'ai toujours pensé que le peintre
devait utiliser son pinceau
comme le poète sa plume, c'est à dire donner à rêver, à
réfléchir peut-être, et
sûrement à faire resurgir des goûts oubliés.
De là à dire que le peintre doit s'octroyer un rôle de pédagogue, non :
pour ce qui
concerne l'apprentissage de la technique, les professeurs s'en
chargent très bien,
mais cependant,
pour ce qui est de la signification des signes, il n'y a qu'un pas
que
je franchis avec certitude et allégresse…
De tout temps l'image s'est vue attribuer une double fonction narrative et
instructive.
Outil d'endoctrinement ou de mémoire, instrument du pouvoir,
témoignage de la
foi. Ainsi, tout autant qu'elle est utilisée pour montrer la
puissance ou la
magnificence du prince, média de propagande dirions-nous
aujourd'hui, la
peinture aussi instruit lorsqu'elle offre une vision éminemment
nouvelle du
familier.
Aujourd'hui, en un temps où il est sans doute
nécessaire de bien préciser le sens
des images tant nous en sommes abreuvés, le
peintre devrait s'attacher à sa
fonction originelle : faire lire. Ceci
exigerait qu'il délaisse un peu son rôle de
poseur de couleurs au profit de
celui, ancestral, de dénicheur de racines.
Éveilleur de mémoire et Dénicheur de racines, un beau métier, ne trouvez-vous
pas ?
Paul Conte
2012
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