Page 1 sur 2 Le cadre de l'action, tout d'abord...
Imaginez, dans un très beau pays,


... un merveilleux chemin, boisé et odorant, bordé à
distance de calmes bâtiments dont les murs parfois lui
offrent un adossement idéal...

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et avec, de-ci de-là, les somptuosités habituelles de la
nature ...

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... et, au milieu de ce chemin, une jolie petite
chapelle, tout droit échappée d'une crèche, comme
étonnée d'être arrivée là et d'avoir trouvé une si bonne
place, au premier rang d'une loge si convoitée...
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...la chapelle saint Charles et saint Claude!
Le lieu de l'action, maintenant...
Un projet extraordinaire (nous l’appelions il progètto…), inespéré tant le fait est
rare et précieux : la décoration d’une chapelle confiée, offerte à un peintre…
Pensez donc ! Les noms, les lieux, les images, tout se bouscule, tourbillonne,
inquiète et rend ivre. De bonheur et d'appréhension…
Tout commença le 18 septembre 2011, un dimanche déclaré Journée du
Patrimoine… Guidé par la chaude amitié de Dominique Lafforgue, je découvrais
(un niçois, ça sort peu… et moi en particulier) à travers les vitres de sa porte close

le lieu où j’allais vivre une passionnante aventure… Fort improbable
par ailleurs, ce jour-là !
Dès cette première rencontre, un sentiment véritablement amoureux
envahit mon esprit, sorte de coup de foudre, de coup de croix, plutôt...
Le projet était certes de taille et fort inhabituel à ma pratique, mais
l'amour rend certainement irraisonnable (aveugle serait trop gênant
pour un peintre...) et les bonnes raisons eurent tôt fait d'éclipser -
momentanément- les craintes.
Les proportions, tout d'abord, honnêtes cependant dans leur modestie,
semblaient convenir parfaitement : l'amoureux invétéré des petits
formats, du non finito, du fragment, devait pouvoir trouver son compte
malgré l'immense différence entre ces "petits murs" et la feuille de
papier.
Ensuite, la présence de deux saints, celle de saint Charles avant tout,
devait achever de me convaincre de tenter l'aventure (il était hors de
question pour moi d'envisager que ce Charles ne fût pas le grand
Charles Borromée, celui dont j'étudie depuis tant d'années et avec une
passion toujours attisée l'époque et le milieu romain).
Une grande question cependant se posait : comment décorer une
chapelle en 2012 ? À cette interrogation d'importance, j'ai consacré un
texte éponyme, joint ci-aprés...
Mais il est un temps pour tout, et celui du peintre-peignant était venu..
Ainsi, fort d'un projet (ilprogètto...) qui prend forme, je décide enfin de
prendre crayons et pinceaux.
Deux croquis donc, un pour chaque façe des murs, rapidement élaborés
sur papier, devaient donner aux autorités, religieuses et municipales (Mr.
le Curé et Mr. le Maire) une idée de ce que je voulais faire :
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L'action, enfin..!
En cours d'élaboration, encore un petit peu de patience...
Décorer une chapelle en 2012 ?…
Chapelle Saint Charles et Saint Claude
Saint Paul de Vence
- Décorer une chapelle en 2012 ? vous demandez-vous avec la pertinence qu’on vous
connaît…
Quelle que soit la liberté revendiquée par l’artiste, une obligation s’impose impérativement :
la peinture d’église doit être narrative.
Cette exigence est dictée par l’histoire et la tradition. À l’extrême fin du VIe siècle, en 599,
Séréno, évêque de Marseille, demande à Grégoire le Grand s’il peut faire représenter des
images dans les églises (les fondements de la religion chrétienne, le christianisme dogmatique
étaient, à cette époque, déjà bien implantés dans le monde romain ; cependant l’aspect
purement cultuel et l’usage des symboles avaient encore besoin d’être précisés, normalisés).
Saint Grégoire répond qu’il est nécessaire d’utiliser la peinture dans les églises afin de
permettre aux analphabètes de lire sur les murs ce qu’ils ne sont pas capables de déchiffrer
dans les manuscrits*. Cette injonction, une fois dépassé son aspect purement ecclésiastique,
fut capitale : elle définissait, ni plus, ni moins, le rôle du peintre dans la société occidentale…
Alors que la peinture de l’Antiquité se bornait le plus souvent à un aspect décoratif (il y a
certainement une signification mystique aux Noces Aldobrandines, mais l’exemple est si rare,
au milieu de tant de paysages, de jardins imaginaires et de grotesques à l’invention
extravagante et à but uniquement ornemental), voici, d’un coup, d’un seul, le peintre promu
maître de l’image, gardien de la mémoire (certes, il partage cette dernière fonction avec le
chroniqueur, mais encore faut-il savoir lire pour se référer à celui-là…) ; le peintre
observateur des faits et gestes du prince, des mœurs de la société… Le beau cadeau, en vérité,
proposé par un des géants de la patristique à ces obscurs artisans ensembliers, faiseurs
jusqu’alors de "petits mickeys", en quelque sorte… Quel avenir grandiose, quelle immense
perspective Grégoire a-t-il dévoilés à la culture occidentale : imposer au peintre une telle
mission était lui imposer d’avoir du talent, voire du génie ! Plus tard, l’invention de la
photographie, puis surtout sa vulgarisation, changeront irrémédiablement la fonction du
peintre. Il ne lui sera plus assigné la nécessité du témoignage (le reporter s’en chargera avec,
si ce n’est plus de crédibilité, du moins plus d’instantanéité), mais bien plutôt les manières
allusives de la poésie. Le peintre serait-il redevenu le décorateur habile à distraire et à faire
rêver ? Mais ceci est une autre histoire…
Le principe ainsi posé d’une peinture narrative, le sujet s’imposait par la double dédicace du
monument : saint Charles et saint Claude**. Cependant, la stature de ces deux saints étant on
ne peut plus dissemblable, je ne pouvais imaginer traiter pareillement les deux évocations.
D’un côté, un grand personnage de la Curie romaine du XVIe siècle (c’est tout dire…),
cardinal, archevêque de Milan, artisan important de la Contre Réforme, Charles Borromée.
En "face", saint Claude, évêque jurassien du VIIe siècle (604 (?)-699 (?)), dont on ne sait pas
grand-chose (il est ignoré de La Légende dorée de Jacques de Voragine…). Une telle disparité
entrainait une différence stylistique dans la narration même, ainsi que la création de deux
modes d’évocations aussi distincts que furent les vies des deux protagonistes, leur
personnalité et la trace laissée dans l’imaginaire (encore les images !!!), c’est-à-dire dans
l’Histoire. À témoignages différents, styles différents… En presque un millénaire, non
seulement la manière de peindre avait changé, mais aussi la façon de relater les faits, de
rendre édifiante une vie d’homme, fut-elle d’un saint. Là où la représentation d’un évènement
marquant, un symbole, suffisait certainement au spectateur du XVIe siècle pour enclencher
les mécanismes de l’évocation, les épisodes complets d’une vie, ou du moins, une succession
de séquences chronologiquement compatibles, étaient requis par le lecteur d’images du haut
Moyen Age.
Évocation de saint Charles Borromée.
Cardinal, et archevêque de Milan, c’est le personnage vêtu de rouge.
Le thème principal constituant une sorte de suggestion libre et arbitraire d’une action de la vie
de saint Charles (il en fit de nombreuses et très remarquables) : alors que la peste ravage
Milan en 1576, Charles demande aux prêtres de revêtir la blouse des infirmiers : cette
compétence devant assurément les aider à donner la communion aux pestiférés avec
beaucoup moins d’appréhension que les prêtres non médecins, peu familiarisés avec la
maladie et les techniques de prophylaxie.... Et comme en matière d’enseignement rien ne
vaut l’exemple, l’archevêque en personne (il sera suivi, quelques décennies plus tard, par Mgr
de Belsunce lors d’une autre peste, celle de Marseille), réconforte, soigne administre les
sacrements aux malades.
Le Pilier des enfants
"Je peux essayer ?" me demanda une petite fille à qui je montrais comment on prépare la
couleur et comment on l’applique sur le mur… Ainsi le Pilier des enfants prit naissance par
un beau et chaud matin du mois de Juillet 2012. Je recevais la visite des élèves de l’école
primaire de La Colle sur Loup, localité voisine de Saint Paul de Vence. Accompagnés de
leurs maîtres et de parents bénévoles, ils venaient voir un peintre au travail et, à l’initiative
imprévue d’une petite camarade, ils se prirent au jeu, me demandant qui du jaune, qui du
bleu, qui du vert… Cette participation improvisée des enfants (des enfants-visiteurs
complétèrent l’œuvre tout au long de l’été…) à la décoration de la chapelle en constitue pour
moi, et pour beaucoup d’autres âmes sensibles, une des parties les plus émouvantes et
précieusement conservées…
Enfin, dernière scène décorative de ce mur, les deux donateurs, Charles Raymond et Claude
Barcillon (voir en annexe le texte de Mr René Vialatte) présentent la maquette de la chapelle
à un groupe d’ecclésiastiques (dont un cardinal, Charles, et un évêque, Claude).
Évocation de saint Claude.
Ainsi que déjà exprimé, j’ai ici fortement privilégié une narration et sa continuité. Mon sujet
étant, non pas de rappeler un fait remarquable de la vie d’un grand saint, mais, m’inspirant de
la manière des représentations médiévales, de raconter une vie, justement comme l’aurait fait
Jacques de Voragine s’il ne fut pas, en l’occurrence, défaillant… La légende dorée…
Légende, du latin legenda, chose qui doit être lue ; ça tombait bien !
De gauche à droite donc, la ligne du haut, puis celle du bas…
Épisodes de la vie de saint Claude, selon une chronique tardive : il naît à Salin en 604 d’une
famille patricienne et chrétienne. Il est militaire à 20 ans. À cet âge, il quitte l’armée pour
devenir clerc au chapitre de la cathédrale de Besançon, dont le siège épiscopal est occupé, en
ce temps, par saint Donat. Passionné par l’étude des Écritures, il devient higoumène (à peu
prés, chef des prêtres. Ce titre existe encore dans la religion grecque orthodoxe). Il refuse, par
deux fois, lors d’indispositions de Donat, le trône épiscopal. Fait historique marquant, son
entrevue avec le roi Clovis II, neveu du grand Clovis, roi de Neustrie et d’Austrasie, premier
des Rois fainéants (on a affublé ces malheureux souverains mérovingiens de ce peu glorieux
adjectif car ils préféraient se déplacer en chariots tirés par des bœufs plutôt qu’à cheval,
dit-on…). Roi et higoumène devaient, sans doute, avoir besoin l’un de l’autre : le roi faible
qui recherche l’appui d’un prêtre puissant, le prêtre pour l’attribution de prébendes. La mort
de saint Gervais, alors évêque de Besançon, entraînera ipso facto la nomination de Claude à
la fonction épiscopale. Désigné ainsi malgré lui, il ne portera que quelque temps la mitre,
préférant aux lourdes obligations que la vie séculière de l’époque imposait aux prélats, le
calme du couvent, propice à l’étude, à l’enseignement et à la méditation. À l’Abbaye de
Saint-Oyend-de-Joux, il enseigne la règle de saint Benoît. Très âgé et pris de faiblesse, il
demande à être transporté une fois encore en la cathédrale de Besançon. Assis sur le trône
épiscopal, il lève les bras au ciel et meurt.
Au-dessus des deux évocations principales, quatre cartouches évoquent, inspirés par
l’évangile selon saint Luc***, des épisodes de la vie de Jésus : l’Annonciation, Jésus devant
les docteurs de la Loi, Jésus devant Pilate, la crucifixion.
L’intrados est orné de petits fragments décoratifs, d’épisodes divers tirés de l’Ancien et du
Nouveau Testament (Moïse, les trompettes de Jéricho, l’adoration du Veau d’or,
l’Annonciation…), mais également de scènes évoquant l’Antiquité romaine, peut-être…
C’était tout pour 2012.
Juin 2013… je n’y tiens plus ! Je dois retourner dans "ma" chapelle****, y entreposer encore
échelles et pigments, pinceaux et jerricans d’eau. J’ai encore tant à lui dire…
Paul Conte
Octobre 2013
(à suivre, sans doute…)
* Cette idée est toujours présente en filigrane dans la Lettre du Pape Jean-Paul II aux artistes
du 4 avril 1999.
** « C’est en 1695 que l’évêque de Vence, Mgr Cabannes de Viens consacra cette chapelle,
laquelle venait d’être édifiée sous la co-fondation de Charles Raymond et de Claude
Barcillon dont les prénoms ont motivé la double titularité attribuée au sanctuaire. Ces deux
personnages qui appartenaient à des familles de notables saint-paulois avaient constitué un
capital en prévision de l’entretien et de la desserte de leur chapelle… »
René Vialatte.
Gazette de Saint-Paul n°77
*** Pourquoi saint Luc ? Parce qu’il est le patron des peintres et des médecins (saint
Charles…) ; parce qu’il est le compagnon de voyage de saint Paul et que nous sommes à
Saint Paul de Vence… Parce qu’enfin saint Luc est, selon la tradition l’auteur des Actes des
Apôtres. Cette dernière qualité me semblant, et de loin, l’emporter sur les autres pour
l’illustrateur avide de sujets…
**** Lors de l’inauguration de mes modestes décorations, le 4 novembre 2012, jour de la fête
de saint Charles, monsieur le Curé, et monsieur le Maire de Saint Paul de Vence m’ont fait le
grand honneur et l’immense plaisir de me remettre officiellement la clé de la chapelle, me
permettant ainsi le libre accès à un des lieux où ma vie artistique affirma un sens…
Décorer une chapelle en 2013 ?…
Juin 2013… N’y tenant plus donc, me voici à nouveau devant cette porte, débarquant mon
matériel, retrouvant à l’intérieur cette odeur indéfinissable, si particulière à ce lieu et qui
m’est si chère ; touchant, caressant à nouveau les murs que ma peinture recouvre, collant ma
joue à leur surface afin qu’une vision frisante me décèle les redoutables boursouflures de
l’humidité. Aucun endroit est atteint, je me rassure définitivement (la bonne blague… quel
peintre serait rassuré définitivement ?) en changeant d’angle, de position… Rien à signaler :
j’ai été un élève consciencieux, respectant les conseils et les consignes que d’autres peintres,
des vrais*, ont eu la générosité de me prodiguer alors que je me trouvais devant un mur
étranger et sur la peau duquel j’allais tracer une œuvre durable...
Désirant laisser libre de toute décoration le mur auquel est accolé l’autel (celui-ci de forme
galbée, typique du XVIIIe siècle est de dimensions très importantes, couvrant presque toute la
longueur du mur ; de plus, l’espace situé au-dessus du tabernacle est occupé par un tableau
ancien, médiocre mais ancien, ce qui lui donne un droit d’occupation indéniable), il me restait
le côté opposé, au-dessus et de part et d’autre de la porte d’entrée. Une bien belle surface, et
haute…
Si j’avais volontairement conçu la décoration des collatéraux comme des frises, des phrases
faites pour la lecture, cette fois, je voulais monter jusqu’au plafond.
Ayant déjà traité ce qui me semblait essentiel à la décoration de la chapelle (à savoir les vies
de deux dédicataires et des épisodes de la vie de Jésus), je pensais pouvoir continuer, avec la
même liberté (la liberté du créateur… encore une bonne blague !), ce que j’avais esquissé sur
les murs de l’intrados : un ensemble de clins d’œil où chacun pourrait penser qu’ils leur sont
adressés.
C’était compter sans saint Luc… je l’avais tant cité, j’avais tant évoqué sa présence qu’il se
rappelait maintenant à mon bon souvenir. Je choisirai donc dans les Actes mes sujets. On
reconnaitra (du moins, je l’espère), entre autres, une conversion de saint Paul, la tempête et le
naufrage, la guérison d’un impotent…
Le phénomène de l’ascension des saints représentant pour moi un sujet d’intérêt et d’étude
pour le moins redondant (avec les cortèges et les porteurs d’offrandes… allez savoir
pourquoi !), je me devais d’y consacrer évidemment la partie haute de la voute. Le sommet de
la porte formant une délimitation logique à la composition de ma scène d’ascension, je traçais
de ce point la ligne horizontale de sol duquel s’élèvera mon saint. Cette frontière due, de
manière heureuse, à la configuration des lieux m’offrait naturellement, dans l’arrondi de la
voute, deux espaces en forme d’écoinçon : j’y plaçais deux anges musiciens, comme les
Romains plaçaient à ce même endroit de leurs arcs de triomphe, des victoires ailées…
Paul Conte
Mars 2014
* Concernant les murs, les vrais peintres sont les peintres du bâtiment, c’est-à-dire les artisans
qui ont une réelle et pragmatique connaissance des fonds maçonnés, des enduits et des types
de peintures qui leur conviennent. Avant de commencer la décoration de la chapelle, j’avais
sollicité les conseils éclairés d’un grand spécialiste, Didier Lebon. Je ne le remercierai jamais
assez, tant sa disponibilité et sa compétence me furent précieuses…
Récemment, lors de la réalisation des peintures murales de l’église Notre-Dame de la Mer à
Cagnes, j’ai eu la chance de rencontrer le peintre Daniel Chalmin et de bénéficier de son
expérience irremplaçable.
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